Tome 6 - La Revanche des Elfes de la Nuit
L'action de cet épisode se passe dans le Royaume d'Anexan
Personnages présents dans cet album:
Emulgres :
Lÿn (Lynn Pariss)
Premier (Annic Pala)
Sève (Marilyne Daphné)
Ocre (Aline Lemarquis)
Eva (Laura Marissal)
Tara (Myra Grandjean)
Kirah (Myra Grandjean)
Kelmaër (Jérôme Demaret)
Virgia (Sylvie Coste)
Aria (Lola Yuri)
Rèbe (Marilyne Daphné)
Sirénéennes
Emeraude (Léa Davi)
Naïze Or (Van Hitman)
Thanéïse (Tiffany Dreads)
Ariana (Aurore Lopez)
Hairys (MonStef)
Lola la Nocturne (Marie Manganet)
Sorsasiens
Grand Empereur de Sorsasie (Jacky Gé)
Sarah Good (Jadys)
Coralie de Sorsasie (Nadia Blixen)
Khâl Magnus (Vivien)
Anexans
La Reine Elerrina d'Anexan
Naerel, elfe de nuit (Laure Molières)
Valyra, elfe de jour (Bella)
Eilleen, elfe de jour (Camille Roche)
Lucida, ange blanc (Julie Hbt)
Arilliane, elfe de nuit (Bloom Lolita)
Kelmarer, elfe de nuit (Jérôme Démaret)
Drêles
Méryl le Sage (Gaëtan)
Evy (Laura Marissal)
Médianes
Céaska (Béatrice Drapeau)
Grisois
Pélerine (Antoinette Delucia)
Lÿn, accompagnée de ses compagnons émulgres et de la magie de son collier de Brèche-Mue, arrive à Anexan, royaume des elfes et des anges, en pleine implosion politique.
Alors qu’elle poursuit sa quête pour comprendre pourquoi elle est née sans halos, Lÿn suit la piste de vieilles légendes évoquées par le Grand Empereur de Sorsasie lorsqu’ils s’étaient rencontrés. Il lui avait parlé d’un lieu ancien situé « entre lumière et ombre », un royaume où les êtres naissent parfois bénis, parfois marqués par les mystères du destin : Anexan.
Selon le Grand d’Or, la Reine Elerrina détiendrait peut-être les secrets des halos, car son peuple maîtrise l’auréomancie, une magie capable de voir les éclats d’âme des êtres vivants. Lÿn part donc pour Anexan dans l’espoir d’obtenir des réponses sur sa malédiction.
Ses compagnons émulgres Sève, Ocre et Aria l’accompagnent.
Un siècle plus tôt, un ancien conflit entre anges noirs et elfes de nuit avait mené à un compromis : le Décret de Lumenar, une loi imposant à toute naissance elfe de nuit d’être soumise à une “Épreuve de Clarté” : une épreuve magique destinée à vérifier la « loyauté lumineuse » de l’enfant. Un rituel humiliant, dangereux, et qui nie leur culture.
La Reine Elerrina avait promis d’abolir ce décret en accédant au trône… Mais elle ne l’a jamais fait, absorbée par les guerres inter-angéliques et les invasions marines des sirénéens.
Les elfes de nuit voient dans ce « oubli » un mensonge, un mépris de leur peuple, et même une volonté de les affaiblir, la preuve que seule l’insurrection permettra d’être entendus. Naerel, farouche et brillante stratège, devient alors la voix des oubliés.
La sorsasienne Agwagnès, qui se joue des dimensions spatio-temporelles, a offert à Lÿn Brèche-Mue, un artefact ancien, chuchoté dans les légendes. Un collier façonné d’une pierre de lune noire traversée d’un fil d’argent vif comme une aile de lumière. Au toucher, il semble froid mais à chaque battement du cœur de Lÿn, une tiède pulsation répond, comme un souffle emprunté à une autre vie. Car telle est sa magie : Brèche-Mue permet à Lÿn d’endosser, pour quelques instants, les formes qu’elle aurait eues dans ses existences non vécues, ses chemins brisés, ses destins abandonnés. Il ne lui donne pas plus de halos. Mais il ouvre devant elle la carte mouvante des possibles, les routes que son âme aurait pu fouler si les vents du sort avaient soufflé ailleurs.
Et à Anexan, là où la lumière et l’ombre cohabitent dans un équilibre précaire, le collier vibre déjà d’une impatience inquiétante…
Anexan n’était pas un royaume comme les autres. Il est l’union fragile de quatre peuples que l’histoire a forcés à partager les mêmes plaines, les mêmes forêts, les mêmes cieux : les elfes de jour, porteurs de lumière, les elfes de nuit, maîtres des ombres anciennes, les anges blancs, gardiens des auras pures, les anges noirs, sentinelles du crépuscule.
Depuis des générations, une tension silencieuse fait vibrer le royaume comme une corde prête à se rompre. La Reine Elerrina, douce et juste, tente d’apaiser les rancœurs. Mais trois ans plus tôt, une décision prise dans la peur a allumé une mèche prête à embraser tout Anexan.
Des siècles en arrière, lorsque le grand-père de la Reine Elerrina était au pouvoir, le Roi Daelen, la Grande Faille Obscure s’est ouverte, libérant des esprits sombres qui rongeaient les frontières et s’empara de l’âme des gardiens de la nuit. La panique a alors envahi les hautes tours d’Anexan. Dans l’urgence, le Roi Daelen décréta la Loi des Veilles Lumineuses, une loi qui ne frappait que les elfes de nuit, alors chargés de la surveillance nocturne des frontières : leurs enfants furent testés dès leurs premiers cris, leurs déplacements nocturnes strictement encadrés, leurs rituels sacrés interdits, leur magie d’Ombre amputée de moitié par des sceaux de lumière. Le Roi Daelen protéger l’ensemble de son peuple. Les elfes de nuit, eux, le vécurent comme une humiliation. Une suspicion gravée dans la chair même de leurs traditions.
Lorsque la Reine Elerrina arriva au pouvoir, elle promit d’abolir cette loi ancienne et stigmatisante. Mais les priorités politiques allèrent au maintien de la paix, fragile, et la gestion des conflits qui gangrenait son royaume. Dans cette blessure collective s’éleva une voix, celle de Naerel, oratrice brillante au regard de braise, rassemblant autour d’elle la colère d’un peuple.
Sur le chemin de la capitale, la forêt luminescente bruissait comme si les feuilles chantaient des avertissements. Lÿn est prise alors dans une embuscade, par des elfes, mais par des sirénéens infiltrés, menés par le cruel Hairys. Elle est saisie par les chevilles et entraînée dans une rivière qui ondulait entre les sentiers.
Alors que tout semblait perdu, un jeune émulgre surgit, traçant dans l’air un halo d’argent pur, un éclat si rare qu’il fit reculer les assaillants. Lÿn ne le reconnut pas tout de suite et
lui non plus. Brèche-Mue scintilla, comme réveillé, Lÿn reconnut Premier, qu’elle-même avait sauvé des sirénéens lors de leur première rencontre…
Méryl le Sage, drêle clairvoyant, pose une main sur le collier et murmure :
« Vos auras chantent la même mélodie. Vous êtes enfants de la même lumière. »
Lÿn et Premier furent extrêmement surpris. Se pouvait-il qu’ils aient un lien de parenté ? Mais alors comment expliquer la cruauté de la Reine Capitale envers Lÿn ? Quel secret se cachait derrière sa naissance ?
Premier se joint à elle dans sa quête.
Sabotage 1 : la Tour des Lueurs d’Anexan
La nuit où les halos s’éteignirent.
La Tour des Lueurs se dressait au centre d’Anexan : une gigantesque colonne de cristal vivante, alimentée par la magie des archanges et diffusant, chaque nuit, une lumière d’or pur. Cette lumière devait être un symbole d’unité… mais sous le Roi Daelen, elle était devenue un phare de surveillance. Une sentinelle aveuglante. Naerel s’était jurée de la détruire. Elle grimpe la spirale extérieure sans un bruit, son ombre glisse sur les parois étincelantes. À chaque pas, la tour résonne sous ses doigts comme une cloche prête à se fissurer. Arrivée au sommet, elle perce le voile défensif grâce à sa magie nocturne : un souffle froid, un murmure ancien, une prière adressée aux premières ténèbres. Au centre du plateau se trouve le Cœur des Lueurs, une sphère de lumière vivante qui tourbillonne comme un soleil retenu. Naerel souffle :
« Tu as aspiré nos nuits… je te rends le silence. »
Elle plonge ses mains dans l’éclat. La douleur est fulgurante — on aurait dit que la lumière tentait de la repousser, de la purifier malgré elle. Mais Naerel tient bon. Ses veines se zèbrent d’éclairs noirs tandis qu’elle siphonne l’énergie du Cœur. La Tour tremble, les cristaux vibrent. Et la lumière s’effondre.
Un voile d’obscurité douce s’abat sur Anexan. Pas une ombre menaçante : une nuit naturelle, paisible, la première depuis des siècles. En contrebas, les habitants lèvent les yeux, surpris. Certains s’effraient, d’autres pleurent. Naerel, elle, reste debout dans les ténèbres retrouvées.
« Ce n’est pas une attaque. C’est un rappel. La lumière n’est pas la seule voie. »
Puis elle disparaît avant que les gardes ne puissent monter.
Dans les profondeurs obscures, un autre complot se tisse. Khâl Magnus, mage sorsasien au cœur opaque, manipule les sirénéens au nom de Naïze Or. Il persuada Hairys que les peuples de la surface préparaient une arme capable de flétrir les océans. Trompé, Hairys entraîna voyageurs et éclaireurs dans les abîmes, déchaîna tempêtes et raz-de-marée. Dans l’ombre, Lola la Nocturne, rejetée par les siens, glissait parfois des avertissements aux émulgres. Et Emeraude, la sirène au cœur clair, tentait d’arrêter Hairys… mais se heurtait à la solitude des justes.
La nuit se charge d’électricité. Dans les hauteurs rocheuses qui dominent la capitale d’Anexan, les halos dansent comme des esprits fous, éclaboussant les falaises de lueurs instables. Kelmaër émulgre cerf qui s’est installé en Anexan pour suivre une elfe de jour dont il était amoureux, vient d’atteindre le promontoire, haletant, son épée de lumière fissurée contre son flanc. Derrière lui, les cris des réfugiés résonnent encore : Hairys a lancé un assaut surprise, et Ariana — la sirénéenne renégate — mène les troupes amphibiennes avec une cruauté presque joyeuse.
Face à Kelmaër, Ariana surgit d’un jet d’eau sombre, éclaboussant les pierres d’une écume noirâtre. À la lumière des lunes, ses écailles prennent une teinte de métal froid.
« Tu es un émulgre, Kelmaër et les émulgres ne sont rien que des éclats d’âme perdus. Vous n’êtes pas faits pour la guerre, ni pour ce monde. »
Kelmaër essuie l’eau qui éclabousse son visage :
« Peut-être. Mais je suis fait pour protéger. Et toi, Ariana… tu n’es plus que la haine d’un océan malade. »
Un sourire carnassier étire les lèvres de la sirénéenne. Le combat s’engage. Ariana bondit la première, sa queue propulsant son corps avec la force d’un torrent. Ses poignards d’écailles effleurent la gorge de Kelmaër, qui esquive d’un pas avant de répliquer d’un arc de lumière. La collision de leurs halos fait éclater une onde de choc qui déchire les buissons alentour.
Kelmaër vacille. Il sent, dans le creux de son âme, que quelque chose se fissure. Une de ses vies — une corde délicate retenant son essence — vibre dangereusement. Un halo clignote, faiblit… Ariana, elle, semble intouchable. Jusqu’à ce qu’un cri rauque retentisse. Un hurlement… qui n’a rien d’humain.
Kelmaër se retourne à temps pour voir les soldats sirénéens encercler les elfes blessés. Un enfant de jour glisse sous la lame d’une combattante amphibienne. Kelmaër détourne le coup par instinct, se sacrifiant pour lui. Le poignard d’Ariana lui transperce l’épaule. La douleur est si vive qu’une de ses vies craque, littéralement, comme un fil d’argent brisé. Son âme vacille, se dédoublant, se rétractant, se reformant dans un frisson d’ombre. Kelmaër s’écroule et lorsqu’il se relève, deux halos seulement tournoient autour de lui... Son regard, autrefois irisé, est dorénavant devenu celui d’un elfe nuit. Il n'est plus Kelmaër l’émulgre. Il vient de perdre une vie, et dans cette mort éphémère, il renaît autrement. Le vent lui souffle sa nouvelle identité, Kelmarer, tu es, en elfe de nuit, tu renais…
Ariana recule d’un pas, déstabilisée par la transformation brutale.
«Toi aussi… tu succombes à l’Ombre ? »
Kelmarer sourit, un sourire triste.
« Non. Je deviens ce que je dois être. »
Puis il la frappe. Un coup d’ombre fulgurant, porté non par la rage mais par une nécessité viscérale. Ariana est propulsée en arrière, s’écrasant contre une pierre runique éclatée. La rune se met à pulser. D’abord lentement. Puis frénétiquement. Ariana sent, trop tard, la magie des anciens pactes de la nuit l’envelopper. Une vie — son noyau d’émulgre originel — cède sous la pression. Elle pousse un cri mêlé d’effroi et de fureur… puis s’effondra. Elle qui a déjà ressenti cette douleur viscérale.
Lorsque son corps se tord pour se relever, quelque chose a changé. Ses écailles perdent leur éclat marin pour se pigmenter d’un bleu-nuit profond. Ses yeux prennent la teinte des lunes assombries. Son aura ondule, mais non plus comme une vague : comme une ombre liquide. Elle n’est plus Ariana. A elle aussi le vent murmure dans un souffle : Arilliane tu es, en elfe de nuit tu renais…
Arilliane serre sa gorge, déchirée entre sa fidélité aux abysses et cette nouvelle identité qui coule en elle comme un poison lumineux. Kelmarer la fixe. Deux émulgres morts une fois et deux fois. Deux êtres nouveaux, forgés par l’obscurité d’Anexan. Leur destin vient de basculer. Et, quelque part, les trois lunes s’alignent déjà pour la nuit qui scelle leur avenir.
Convié pour raisons diplômatiques par la Reine Elerrina, le Grand Empereur de Sorsasie arrive en Anexan, accompagné de Sarah Good, sa fille Coralie de Sorsasie et Khâl Magnus, son conseiller perfide. Au cœur des clairières enchantées où les arbres étendent leurs branches pour masquer la lumière, l’Empereur y retrouve Pélerine, magicienne grisoise. Entre eux un amour tendre, impossible du fait de l’opposition de leurs nations, né dans les marges du pouvoir. Leurs rencontres secrètes sont des instants suspendus, loin des intrigues. Mais Khâl Magnus, lui, tisse dans l’ombre la ruine même de la paix qu’ils espèrent bâtir.
Devant les quatre peuples réunis, la tension devient tempête. Naerel accuse la Reine Elerrina d’avoir trahi sa promesse d’unité, d’humilier les enfants de la nuit, de craindre leur magie et de favoriser les anges au détriment des elfes. De nombreux Elfes de Nuit, presque la totalité, ont rejoint ses rangs, y compris Kelmarer et Arilliane qui n’ont rien perdu de leur combativité.
Elerrina répondit, la voix tremblante :
« Je souhaite protéger Anexan de l’obscurité mais pas de vous en priver. »
Mais ses mots tombèrent comme des feuilles mortes sur un sol brûlant.
Sous la lueur des trois lunes alignées, Naerel proclame la Sécession de l’Ombre. Kelmarer et Arilliane s’agenouillent devant elle. Les elfes de jour s’affolent. Les anges se déchirent. Et une rumeur terrifiante s’élève : les sirénéens s’approchent de la capitale, s’amoncelant dans les lacs, les rivières et le moindre petit cours d’eau qui entoure la capitale.
Sabotage 2 : L’attaque des Sylvangeliers
Quand les arbres sacrés levèrent leurs ailes.
Pour sa prochaine attaque Naerel demande l’aide de Kelmarer et Arilliane, ils ne seront pas trop de trois pour délivrer les Sylvangeliers de Haute Sylve. Les Sylvangeliers sont les êtres les plus anciens du royaume d’Anexan : de gigantesques arbres ailés, gardiens des passages ancestraux entre les peuples, objets de pèlerinage pour les chamanes drêles qui viennent à leur rencontre pour s’élever spirituellement. Le Roi Daelen les avait enrôlés, malgré eux, comme leviers politiques. Leur régénération avait été ralentie, leurs pousses surveillées, leurs ailes parfois même entravées pour éviter qu’ils ne migrent vers les territoires de la Nuit.
Naerel ne pouvait tolérer cette profanation.
Quelques minutes après le lever de la troisième lune, ils se rendent dans la Haute Sylve, sous une lumière voilée. Les arbres frémissent faiblement, comme des vieillards épuisés. Naerel pose sa main sur le tronc du plus grand, Aërosyl le Primogénit.
« Pardonne moi. On vous a fait porter des chaînes que vous ne méritiez pas. Laisse moi vous redonner vos ailes. »
Elle invoque la Racine Ombreuse, une magie souterraine, profonde, celle qui réveille ce que la surface ignore. Le sol se met à pulser. Les racines frémissent comme si la forêt respirait dans un souffle nouveau. Un grincement sonore éclate.
Les chaînes magiques se brisent. Aërosyl déploie ses immenses ailes de feuilles. Le battement fait voler des milliers de particules lumineuses.
Elle invite Kelmarer et Arilliane à imiter son rituel sur chacun des Sylvangeliers.
Tous suivent Aërosyl : trente arbres, qui s’élèvent d’un seul coup dans la nuit, arrachant les sceaux sacrés qui les emprisonnaient, brisant les barrières. Les gardes paniquent, croyant à une attaque. Mais Naerel élève la voix :
« Ils ne vous attaquent pas. Ils s’échappent. »
Les arbres prennent de la hauteur et filent vers la frontière des Elfes de la Nuit, retrouvant enfin leur liberté. La Reine Elerrina, informée au palais, comprend : on vient de retirer à son pouvoir un symbole vital.
Sabotage 3 : La Libération des enfants en attente de l’Épreuve de Clarté
Un acte d’amour désespéré
C’est le sabotage le plus personnel de Naerel, le plus douloureux et le plus beau aussi. Les Épreuves de Clarté sont depuis longtemps dénoncées par les elfes de la Nuit. On y évalue les âmes des enfants, jugeant leurs affinités magiques, décidant de leur avenir, parfois même de leur séparation d’avec leurs familles. Les enfants nocturnes, accusés d’imperfections, entrent dans la salle avec une peur qui n’a rien d’innocent.
Naerel ne le supporte plus. Aidée par Kelmarer et Arilliane, ils se glissent dans l’Oratrim, le bâtiment où vingt-huit enfants dorment dans des chambres alignées en attendant leur jugement du lendemain. Le couloir sent le miel chaud, parfum destiné à apaiser, mais qui n’apaise que les gardes, jamais les enfants.
Les trois rebelles entrent dans la première chambre. Une petite elfe aux cheveux d’encre ouvre les yeux. Elle doit avoir cinq ans, trop jeune pour comprendre ce qui l’attend.
« Tu es une ombre ? » chuchote-t-elle.
Naerel sent son cœur se fissurer.
« Non, petite. Je suis ce que tu deviendras si tu gardes ta liberté. »
Elle la prend dans ses bras. La fillette s’y agrippe aussitôt, comme si elle attendait ce geste depuis toujours. Kelmarer, Arilliane et elle passent dans chaque chambre, réveillant doucement les enfants, les uns après les autres sans un cri, sans une larme de peur, seulement une confiance instinctive. Ils se tenaient la main, une procession fragile dans la pénombre. Mais l’émotion éclate lorsqu’un petit garçon demande soudain :
« On va rentrer chez nos parents ? Ou on va être punis ? »
Naerel se met à genoux devant lui. Ses yeux se remplissent de nuit.
« Personne ne vous punira. Personne ne vous touchera. Vous allez retourner auprès des vôtres. Ce soir, je vous rends ce qu’on vous a pris : votre avenir. »
Les enfants éclatent en sanglots silencieux. Des sanglots d’enfants qui ont trop retenu leurs larmes. Naerel brise les sceaux des portes. Les alarmes résonnent dans tout l’Oratrim. Les gardes affluent, mais la magie nocturne enveloppe les enfants, les rendant presque invisibles, comme baignés d’une nuit protectrice. Ils s’enfuient dans la forêt, guidés par Naerel. Au petit matin, ils sont rendus à leurs familles.
Brèche-Mue vibre si fort que Lÿn est arrachée à la réalité. Dans une vision éclatée, elle voit les enfants elfes séparés par la Loi, la solitude de la Reine Elerrina, la colère noire de Naerel et, derrière tout cela, les fils de chaos tissés par Naïze Or…
Elle comprend que les blessures d’Anexan sont réelles… mais qu’un ennemi invisible attise les flammes. Lÿn devint alors malgré elle la seule à voir la totalité du tableau, la seule capable d’unir lumière et ombre.
La lumière décline sur Anexan, et les trois lunes commencent à étirer leurs reflets sur les cascades. A cette heure fragile, entre jour et nuit, l’air vibre d’une tension étrange, comme si le monde retenait son souffle. Au pied des Montagnes d’Anor, Eva l’émulgre papillon avance seule pour rejoindre Lÿn. Elle sent la présence de l’Ombre bien avant de la voir. Un parfum froid, un silence trop lourd, une pulsation qui ressemble au battement d’un cœur malade. Naïze Or. Ou plutôt, un fragment de sa volonté, une ombre détachée de lui, un fantôme assez puissant pour dévorer une troupe entière. Eva sait qu’elle seule peut le retenir. Elle l’a déjà fait par la force de son chant sacré, la seule mélodie interdite que même les ténèbres craignent. Elle inspire. Les ailes d’or et de rose qui tapissent son dos frémissent, sa gorge s’illumine d’un halo pur.
Mais l’Ombre se déploie avant qu’elle ne puisse commencer. Un masque sombre surgit d’entre les blocs de pierre, grinçant :
« Chante, petite lumière… Que je voie si ton âme résonne autant que ta peur. »
Eva tremble, mais elle ne recule pas. Elle ouvre la bouche, son chant se répand. Une vibration douce d’abord, presqu’un souffle. Puis une onde brillante qui chasse l’air autour d’elle et fait trembler les feuilles. Un fil d’espoir qui fend l’obscurité.
L’Ombre hurle. Sa forme se disloque, se recompose, tente de s’éloigner… mais Eva tient bon, avance pas à pas. L’herbe sous elle se couvre de reflets argentés. Les arbres s’agenouillent comme pour la protéger. Elle doit tenir. Le temps que Lÿn et les autres rejoignent la Reine Elerrina. Le temps que les sirénéens soient identifiés comme la vraie menace. Le chant grandit encore. L’Ombre se fissure. Elle perd de la matière noire, comme des lambeaux de nuit déchiquetés.
« Encore un peu… » murmure Eva.
Mais une présence nouvelle surgit. Deux yeux, d’un bleu nocturne, s’allumèrent derrière l’Ombre. Une silhouette féminine, glissant entre les pierres. Thanéïse, la sirénéenne instable, séduite un jour par la lumière, l’autre par l’abîme. Cette fois-ci, son sourire tranche comme une lame humide.
« Tu n’aurais jamais dû chanter seule, Eva. L’ombre te convoite… et moi aussi. »
Elle bondit. Eva, épuisée par son chant, tente de reculer, mais Thanéïse la frappe avec une précision meurtrière : une attaque qui ne vise pas le corps… mais le halo. Eva sent le choc comme un coup d’éclair en plein ventre. Son souffle est stoppé net, sa voix se brise. La vibration retombe, disloquée. Une de ses vies, un halo se fissure soudain. Elle pose la main sur sa poitrine, horrifiée.
« Non… pas maintenant… »
Mais la vie cède. Le halo se brise comme une bulle fragile. Une pluie de poussière étincelante tombe autour d’elle. Eva s’écroule à genoux, ses ailes se désagrégeant en volutes d’or. La forêt se fait silence. Même Thanéïse recule, fascinée. Car quelque chose, quelqu’un, se lève à la place d’Eva. Le vent se fait entendre, un souffle ancien, plus large qu’elle, plus ancien que les émulgres : « Evy tu es, en drêle tu renais ».
Les poussières de ses halos restants se rassemblent autour de sa silhouette, tissant une forme nouvelle. Ses ailes, au lieu d’être papillon, devinrent une cape de brume végétale. Ses yeux prennent la couleur des racines et des sources.
Une voix, multiple comme celle du vent, parle :
« Je suis Evy. Je suis l’écho de la vie qui demeure. Je suis la drêle née de la perte, l’esprit que la nature appelle. »
L’Ombre recule, devant la chamane des cycles, protectrice des esprits de la nature. Thanéïse, déconcertée, interroge
« Qu’es-tu devenue… ? »
Evy lève la main. Des racines jaillirent du sol, attrapant les chevilles de la sirénéenne.
« Ce que tu ne peux plus corrompre. »
L’Ombre se déchire en deux et s’évanouit. Thanéïse parvint à fuir en se dissolvant dans une brume sombre. Evy reste seule, calme, debout sous les trois lunes. La transformation est achevée. Eva n’était plus. Mais Evy venait de naître, avec, dans ses veines, le pouvoir de guider Lÿn vers la vérité. Et la magie d’Anexan, ce soir-là, sut qu’un nouvel esprit venait d’entrer dans son histoire.
Emeraude, tapis dans les rochers marins, surprend Khâl Magnus conversant avec Hairys… derrière eux l’ombre mouvante de Naïze Or…
Khâl avoua vouloir renverser la Reine Elerrina afin de déclencher une guerre entre mer et terre et permettre d’ouvrir une brèche pour que Naïze Or retrouve sa puissance. Emeraude avertit immédiatement Lÿn qui prévient l’Empereur. Le Grand d’Or confronte Khâl Magnus…mais le sorcier s’échappe en déclenchant l’assaut des sirénéens sur la capitale.
Dans la dernière bataille, alors que tout semblait vaciller, Lÿn fait appel à Brèche-Mue. Une lumière blanche jaillit d’elle. Puis une ombre profonde. Deux formes, deux Lÿn, debout et vivantes à la fois, révélant aux peuples ce que pouvait être l’équilibre.
Un silence solennel envahit l’esplanade de la capitale d’Anexan. Les trois lunes alignées, versent une lumière lactée sur la foule : elfes de jour, elfes de nuit, anges blancs, anges noirs… tous immobiles, témoins d’un moment qu’aucune prophétie n’avait prévu. Au centre, Lÿn. Ou plutôt les deux Lÿn. Brèche-Mue vibre jusqu’à éclater en une lueur irréelle. D’un côté, Lÿn-Lumière, ailes argentées, halo énergique, la douceur d’un matin. De l’autre, Lÿn-Ombre, silhouette bleutée, contours nébuleux, la sagesse profonde des nuits anciennes. L’une et l’autre, deux éclats d’un même être. La foule, stupéfaite, retient son souffle.
Lÿn-Lumière fait un pas en avant. Sa voix résonne comme une cloche de cristal :
« Peuples d’Anexan, vous me voyez double. Mais je n’ai pas changé. C’est vous qui, depuis des siècles, avez été séparés en deux. Jour contre Nuit. Lumière contre Ombre. Ailes contre Ailes. »
Elle joignit ses mains devant elle.
« Et pourtant, voyez : je ne me suis pas brisée. Je me suis dévoilée. Car chaque être porte en lui deux parts, et ce n’est pas une faiblesse… c’est un équilibre. »
Lÿn-Ombre s’avance à son tour, sa voix sombre mais apaisante :
« Les elfes de nuit ont été blessés, non par la lumière… mais par la peur. La Loi des Veilles Lumineuses, née d’un désir de protection, a fini par enfermer, humilier, mutiler. On ne protège jamais en enchaînant. On ne purifie jamais en effaçant. Et ce que l’on renie devient colère. »
Un murmure parcourt les rangs des elfes de jour, des regards honteux s’échangent. Naerel, elle, serre les poings mais sa colère s’effrite, se sentant enfin comprise.
Lÿn-Lumière tourne son regard vers elle avec douceur.
« Naerel, tu n’es pas une rebelle. Tu es une gardienne blessée. Tu t’es battue pour que les tiens existent encore. Mais si tu détruis ce royaume… alors qui pourra entendre ta voix ? Qui pourra comprendre ton peuple ? Je te le demande : veux-tu avoir raison… ou veux-tu guérir ? »
Pour la première fois, Naerel recule d’un pas. Ses yeux, pleins de nuit, se brouillent.
Lÿn-Ombre reprend :
« Et vous, anges blancs et noirs, de lumière et de ténèbres, vous qui avez appris à garder vos distances, regardez moi : je suis faite de vos deux magies. La lumière ne peut briller sans ombre. L’ombre ne peut exister sans lumière. Vous n’êtes pas rivaux : vous êtes co-créateurs. »
Les ailes blanches frémissent. Les ailes noires s’inclinent. Alors Lÿn-Lumière et Lÿn-Ombre se prennent la main. Les deux voix fusionnent en une harmonie parfaite.
« Régnez ensemble. Chantez ensemble. Construisez ensemble. Et souvenez-vous : aucune loi ne doit jamais étouffer ce que vous êtes. Aucune peur ne doit guider vos décisions. Dans la lumière comme dans l’ombre, vous êtes un seul royaume. Anexan n’est pas une mosaïque fissurée : C’est un vitrail. Un ensemble de couleurs, de nuits, de jours, qui ne prennent sens que mis côte à côte. »
Un vent chaud se lève. Une onde douce parcourt la foule : les halos scintillent, les ailes bruissent, les cœurs se délient. La Reine Elerrina, bouleversée, se lève lentement. Son diadème scintille d’une lumière nouvelle. Elle avance jusqu’à Lÿn, l’émotion au bord des lèvres.
« Tu as raison. Je voulais protéger mon peuple et j’ai oublié que ce peuple avait quatre visages, pas un seul. »
Elle tourne son regard vers Naerel.
« Naerel, représentante des Elfes de la Nuit : Aujourd’hui, ici, devant tous, j’abolie la Loi des Veilles Lumineuses. Vos rites, vos enfants, vos déplacements, votre magie, tout vous est rendu. Non par clémence, mais par justice. »
Un souffle parcourt l’assemblée.
Naerel, surprise, chancèle. Kelmarer pose une main sur son épaule. Arilliane baisse la tête.
La Reine Elerrina ajoute :
« Je te tends la main, Naerel. Non en reine, mais en sœur de royaume. Aide-moi à guérir ce qui a été brisé. »
Un silence se fait. Puis Naerel, les yeux humides, s’agenouille.
Alors la foule éclate de bonheur. Des ailes s’ouvrent. Des halos s’embrasent. Les quatre peuples d’Anexan déposent leurs armes. Lÿn, toujours dédoublée, voit dans leurs yeux la paix qu’elle n’avait jamais connue elle-même. Dans un murmure, Lÿn-Ombre souffle :
« L’harmonie n’est pas un cadeau. C’est une décision. »
Et Lÿn-Lumière ajoute :
« Une décision que vous venez de prendre ensemble. »
Les deux formes fusionnent doucement, comme deux eaux qui se rejoignent. Lÿn redevint une. Mais ses mots, eux, restent imprégnés dans les pierres d’Anexan. Ce jour-là, la paix renaquit. Et Lÿn comprit qu’elle n’était plus seulement une voyageuse sans halos. Elle était devenue une voix.
Hairys se retira au fond des océans, blessé dans son orgueil. Khâl Magnus disparut. Naïze Or murmura dans le vent des promesses de retour.
L’Empereur et Pélerine se dirent adieu sous les arbres voilés, promettant de se retrouver lorsque les temps seraient plus cléments. Mais Coralie de Sorsasie crut voir son père murmurer des secrets à une belle inconnue…
Les émulgres reprirent la route. Lÿn, plus déterminée encore, cherchait à comprendre le secret de ses origines. Et sur son collier une nouvelle lueur apparut, infime, palpitante. Comme si une vérité longtemps cachée s’apprêtait à sortir de l’ombre.
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